N°19 _ Duel et tir d’assaut

Duel et tir d’assaut

Les premières sociétés de tir d’assaut au pistolet apparaissent en 1904. Créé par le Dr Paul Devillers ce nouveau sport n’a pas pour but la performance ou le tir de précision, mais bien l’affrontement entre deux adversaires prêt à se rendre la monnaie de leur pièce. Cette discipline, aussi courtoise que pacifique, s’inscrit tout à fait dans l’esprit traditionnel de l’escrime et c’est naturellement que cette fédération sportive l’accueille au début du XXème siècle.

Le Dr. Devillers

Médecin de son état, le Docteur Devillers arrive à point nommé en 1901, pour satisfaire le goût de ses compatriotes pour l’escrime au pistolet. En même temps qu’il dépose sous le N° 312320 le brevet d’une balle de cire de son invention, il défini les règles de ce sport qui va connaître un franc succès, jusqu’à la veille de la grande guerre. Au début du siècle, les sociétés se multiplient. L’Assaut au pistolet, Armes de Combat, Pistolet, Société Militaire d’Escrime Pratique, Société d’Entraînement à l’Escrime au pistolet, pour ne citer que les plus connues, se rencontrent sportivement sur la terrasse des Tuileries lors de la grande semaine civile des armes de combat. Lors de ce championnat international, toutes les tireurs affiliées à l’Union des groupes des sociétés pratiquant l’assaut au pistolet s’ affrontent dans deux catégories, pistolet et revolver.

Les règles sont simples. Protégés des impacts par une tenue particulière, les duellistes s’affrontent au commandement: « Feu, 1, 2 3… » Au mot feu, les tireurs doivent se coucher en joue, à 3 ils doivent avoir tirés. Les touches, marquées par les impacts des balles en cire, donnent les résultats. A une époque où les maîtres d’armes rassemblent encore de nombreux élèves, le Tir d’Assaut s’apparente à l’escrime bien plus qu’il n’y paraît. La tenue des tireurs est dérivée du matériel en usage chez les escrimeurs. Au masque, en treillage métallique, s’ajoute une large blouse qui recouvre le corps jusqu’aux mollets. Avec le temps, ce matériel de fortune est remplacé par une tenue spécifique. Les quelques documents qui nous sont parvenus présentent suivant les circonstances, un demi-vêtement protecteur, qui ne protège que le flanc présenté à l’adversaire, ou une blouse qui offre une totale protection et qui se convertie de surcroît en  » cache-poussière ordinaire « .

Les masques suivent une évolution identique. Les premiers modèles laissant passer de petits éclats de cire, on s’achemine vers des masques plus sûrs, doublés d’une fine toile métallique. Une vitre renforcée, permet sur certains modèles de dégager complètement le champs visuel du tireur. Pour les adeptes de l’escrime au pistolet qui craignent de voir leur visière se recouvrir de buée, un modèle à respirateur est disponible avec un léger supplément. A l’origine tout le matériel est géré par la société sportive du Dr Devillers, qui détient les droits exclusifs et approvisionne les autres sociétés de tir. L’Assaut au pistolet de Paul Devillers compte au début du siècle 154 membres qui s’exercent à tour de rôle, le vendredi matin au jardin de Paris. Dans une allée fermée par des bâches qui arrêtent les balles perdues, les duellistes s’affrontent par paire alors qu’un artilleur, abrité sous le kiosque à musique recharge les pistolets.

Les armes

La balle ronde protégée par les brevets Devillers de 1901 et 1905, est un projectile de cire, de suif et de sulfate de baryte, destiné à marquer la touche sans blesser l’adversaire. Par temps chaud, sur les lieux de ces simulacres de duels, les balles en cire sont empilées dans des tubes et rafraîchies dans de grandes jarres d’eau. Au début du XXème siècle, les premières armes utilisées pour le Tir d’assaut sont des pistolets à chargement par la culasse, de type Ghaye ou Gastinne. Le développement du revolver, entraîne rapidement la mise au point de cartouches rechargeables utilisant la balle Devillers. Les cartouches de 44 Russian et de 8 mm 92 sont à l’époque, les munitions les plus employées dans les épreuves de Tir d’Assaut. Ces munitions sont chambrées par deux types d’armes diamétralement opposées. Les revolvers du commerce, peuvent sans problème être utilisés comme armes de Tir d’Assaut et il est fréquent à l’époque, de rencontrer des revolvers réglementaires Mod. 1892 ou des S & W à brisure aux mains des adeptes de ce sport en vogue. L’inconvénient majeur de ces armes réside dans l’absence de protection sur la main du tireur qui tient le revolver.

Pour pallier à ce défaut, l’armurier parisien Piot-Lepage, affilié à la société l’Assaut au pistolet, diffuse des pistolets équipés d’une coquille de protection, copie sur la garde des armes d’escrime. Une idée reprise par la Manufacture Française d’armes et de Cycles de St Etienne sur les trois types d’armes qu’elle propose à la vente. Le pistolet Carbona à cartouche de gaz qu’elle vend sous cette forme particulière, de même que les 92 civils, agrémentés pour la circonstance d’une coquille de protection, vissée en avant du pontet. En 1911, la Manufacture Française d’Armes et de Cycles de St Etienne propose les armes munies d’un garde-main démontable, 60 Francs pièce. En Belgique, la firme L. Ancion-Marx vends dans son catalogue, des armes spécifiques destinées au « Simili Duel » du docteur Devillers. Les deux modèles fabriqués sont chambrés en 44 Russian, mais peuvent utiliser sur demande n’importe quel type de cartouche d’arme de poing. Pour les avoir rencontrés en 38 S&W et 44 Henry, on peut facilement imaginer qu’un certain nombre fut produit en 8 mm 92.

Le premier modèle, à canon basculant, vendu par Ancion Marx est issu des pistolets de tir de la Belle Epoque. Le système d’ouverture est commandé par une clef latérale. La crosse et l’avant sont en noyer quadrillé, la bascule est jaspée et le canon octogonal long de 275 mm est bronzé, à l’instar de la coquille qui protège le pontet. Ces armes sont vendue par paire par le fabricant, pour la somme de 90 Francs. Le second type de pistolet proposé par l’armurier liégeois, est plus élaboré et peut se démonter facilement à la main. Il est fourni dans trois degrés de finitions, allant du modèle de base jusqu’au modèle de luxe, au canon cannelé et décoré de gravures anglaises. Dans sa version la plus simple, le pistolet démontable est l’arme standard de nombreuses sociétés françaises de tir. Suivant le degré de finition, ces armes se vendent alors par deux dans une fourchette de prix allant de 130 à 155 Francs. Bien qu’elles soient destinées à l’escrime au pistolet, ces armes peuvent aussi tirer la balle plomb avec une grande précision, si l’on en croit le fabricant. Qu’ils soient achetés en France ou en Belgique, tous ces pistolets portent les poinçons du banc d’épreuve de Liège. En France, Verney-Carron et la « Manu », qui diffuse tout l’équipement nécessaire à la pratique du Tir d’Assaut, en sont les principaux distributeurs. En 1910, Galand propose à son tour une version de son Tue-Tue destinée au Tir d’Assaut, mais cette arme ne semble pas avoir rencontré le succès espéré.

Les munitions

Entre 1904 et 1914, il existe toute une gamme de munitions ou d’éléments de rechargement, destinée au Tir d’Assaut. La plupart des cartouches manufacturées sont vendues par boites de cinquante, montées sur des étuis du commerce ou sur des douilles en carton, au culot de laiton. Les éléments de rechargement les plus souvent rencontrés, sont des étuis rechargeables en acier, sur lesquels on place à la main une grosse amorce de « chasse » et une balle en cire. Indestructibles mais relativement onéreuses, les douilles en acier grèvent lourdement le budget des tireurs. Pour une demi-douzaine d’étuis acier à 1,50 F la pièce, ils peuvent acheter deux boites de cartouches chargées. Dans l’ensemble les tireurs semblent employer les douilles en carton qui ne valent que 6,50 F le cent. De couleur rouge ou verte suivant le calibre, elles se rechargent de la même façon que les étuis acier, en enfonçant une balle de cire dans le corps de l’étui et en plaçant une amorce au culot. Pendant longtemps le docteur Devillers conserve le monopole de son invention, jusqu’au jour où apparaissent de nouvelles cartouches créées par un certain Gabet. Ces munitions de calibres divers, reçoivent à la place de la balle ronde de Devillers, un projectile tronconique, en graphite dont le méplat est recouvert d’une substance crayeuse, destinée à marquer la touche sur la blouse de l’adversaire.

Affilié à la Fédération nationale des sociétés d’escrime et des salles d’armes de France, ce sport était à l’arme à feu ce que l’escrime était à l’arme blanche. Une école de patience et de sang-froid, où les femmes pouvaient tirer comme les hommes, si l’on en croit les résultats de la finale du Championnat au revolver de 1909 où Mme Devillers termina 7ème, derrière un aéropage d’officiers et de notables français.

par Jean-Pierre BASTIE