L’industrie de guerre à Toulouse en 1914-1918

Toulouse ! aux briques roses, Toulouse ! aux hauts clochers.
Toulouse ! aux tours innombrables, Toulouse ! avec sa Garonne.
Toulouse ! avec son horizon pyrénéen, avec ses habitants à l’imagination alerte et joyeuse, Toulouse est devenue ville de guerre.

Albert Thomas Ministre de l’armement

A l’automne 1914, au moment où les Allemands stoppés sur la Marne s’enterrent dans leurs tranchées, l’expérience des premiers combats annonce une guerre longue et coûteuse en hommes et en matériel. Il faut trouver dans le pays les ressources nécessaires à la poursuite du conflit et fabriquer des quantités énormes de munitions. A Toulouse, les ouvriers métallurgistes qui n’ont pas été mobilisés se trouvent en chômage, les tours sont arrêtés et les usines ont fermé leurs portes. En 1915, les élus locaux, encouragés par les inspections de Clémentel, Ministre du commerce et d’Albert Thomas, futur Ministre de l’armement, décident de mobiliser les industriels toulousains et de concourir à l’effort exigé par la Défense nationale. La dépendance de l’étranger pour les fournitures de guerre est dans l’impasse et il faut trouver sur place les moyens de produire les armes et les munitions que la situation de guerre exige. En mars 1915, débutent les travaux d’agrandissement de la poudrerie, de l’arsenal et de la cartoucherie. Dans un même temps, l’inspecteur général d’Audibert, délégué à Toulouse, installe dans la ville de nombreux ateliers de confection, destinés à la fabrication d’uniformes et de chaussures pour l’armée. L’industrie aéronautique, centralisée en région parisienne, accepte à son tour d’abandonner son monopole et favorise l’installation dans la ville rose d’unités de fabrication qui mettent en œuvre les moyens de produire des cellules d’avions, des moteurs et de nombreuses pièces détachées destinées à la nouvelle armée de l’air. A l’instigation de nombreux entrepreneurs l’industrie toulousaine réouvre ses sites de production et réoriente ses fabrications vers la fourniture de matériels de guerre.

La société anonyme des ferronneries du midi

Cet établissement spécialisé, avant-guerre, dans la ferronnerie de bâtiments, la boulonnerie et l’ameublement des pensionnats et des hôpitaux, a son siège social rue du Béarnais. Sous l’impulsion d’Albert Bedouce, député de Toulouse, cette société dirigée par M. Robert, va mettre tous les moyens dont elle dispose au service de la défense nationale. Elle produit tout d’abord des gaines relais pour l’artillerie, en collaboration avec un groupe de quatorze industriels de la ville, puis entreprend l’usinage d’obus de 120 en fonte ordinaire. A la demande du gouvernement elle produit par la suite des obus de 95 et de voiture légères d’outils Mod. 1909. La demande est telle que le directeur doit compléter ses effectifs avec les mutilés de guerre en traitement dans les divers hôpitaux de la ville. Mais les 125 blessés employés à ces travaux sont vite dépassés par les commandes et les femmes toulousaines entrent alors dans l’usine, pour remplacer la main d’œuvre masculine qui fait défaut.

En raison des difficultés liées au transport des obus, coulés dans les fonderies des Landes avant d’être usinés à Toulouse, le Service des Forges invite la société toulousaine à créer sa propre fonderie. La fonderie est à peine terminée lorsque l’état réclame la mise en fabrication d’obus de 155 à tir rapide. La fonderie s’outille rapidement et en quelques semaines la production initiale de 150 pièces passe à 200 pièces par jours. En marge de ces fabrications, la SA des Ferronneries du Midi produit aussi pendant la guerre de nombreuses ferrures d’isolateurs pour l’installation de lignes électriques.

Les ateliers DOMINIQUE RIEU & CIE

Représentant des grandes firmes métallurgiques de la région, Dominique Rieu est mieux placé que quiconque pour prêter aux initiatives naissantes le concours de sa grande expérience et de son activité. Il regroupe autour de lui trois des meilleurs fondeurs de la région : MM. Théophile Fabre, à Maubourguet (Hautes-Pyrénées) ; Jacxalde frères, à St Paul-les-Dax (Landes) et Dechaumont, à Muret (Haute-Garonne). La production de ces fonderies est transformée à Toulouse, dans les ateliers de la rue Raymond IV, où sont usinés et directement livrés aux services techniques de l’armée des obus en fonte A. de 155. Les ateliers Dominique Rieu et Cie, ingénieusement installés pour une production intensive, vont procurer pendant toute la durée du conflit un travail rémunérateur à plusieurs centaines de familles ouvrières.

Les établissements AMOUROUX FRERES

Les usines du Pré-Catelan, fondées, en 1890 par Pascal Amouroux en vue de la fabrication d’outillage agricole, s’empressent de répondre à leur tour aux sollicitations du gouvernement. Après quelques aménagements, elles assurent rapidement la fourniture de gaines relais pour obus, d’obus de 90 en fonte ordinaire, d’obus de 95 en fonte aciérée, de caissons à munitions, de voiturettes porte-mitrailleuses et porte-munitions, de chariots fourragères et de chariots de parc. Leur activité incessante va contribuer de façon appréciable au ravitaillement en matériel et en munitions de nos armées en guerre.

Les ateliers du Languedoc

Fondés en 1917 par M. Fromassol, les Ateliers du Languedoc vont reprendre en les modernisant les activités des anciens ateliers Bonnet qui dataient de 1802. Pendant la guerre de 1870, les frères Bonnet avaient déjà œuvré pour la défense nationale en hébergeant dans leur établissement toulousain une partie des ateliers de l’arsenal de Bourges. Les nouveaux ateliers du  » Grand-Rond « , animés par un personnel compétent, orientent rapidement leurs activités vers la production de machines à fabriquer des cartouches, des laminoirs à cordeau détonant, de nombreuses pièces mécaniques et une quantité d’obus en fonte de calibres divers.

Les établissements PAULY FRERES

Les établissements Pauly font partie de ces nombreux établissements qui se développent dans la ville pour répondre aux nécessités de la guerre. Quelques années avant le début du conflit, la fonderie Pauly Frères était installée rue Boulbonne et limitait sa production à des séries de robinets et autres appareils vinicoles. A la déclaration de guerre, les ateliers ont déjà déménagé pour des locaux plus vastes, à l’ombre de la tour des Cordeliers. La maison Pauly Frères, spécialisée dans la fabrication de pièces métalliques en bronze, oriente alors sa production vers la fabrication de moyeux de canons et d’appareils de pointage pour l’artillerie. Une des grosses difficultés de l’époque consiste à s’approvisionner en cuivre. Grâce à l’ingéniosité de ses dirigeants, la maison Pauly Frères parvient à maintenir sa production à un niveau élevé en raflant littéralement, dans la campagne environnante, tous les chaudrons en cuivre disponibles. L’accroissement de ses activités va la contraindre à déménager une nouvelle fois pour le  » Pont-des-Demoiselles  » où elle s’installe durant la guerre sur un site de 13 000 mètres carrés. La nouvelle usine compte de nombreux ateliers, une fonderie capable de traiter quotidiennement 5 000 kilos de cuivre, et un parc de plus de 50 machines-outils. De 1914 à 1918, les Etablissements Pauly Frères vont couler près d’un million de kilos de bronze et fournir seize mille moyeux de canons ou d’avant-trains pour le compte de la défense nationale.

par Jean-Pierre BASTIE