N°21 _ Les pistolets de bord pré-réglementaire Dumarest Blachon –

Les pistolets de bord pré-réglementaire Dumarest Blachon

Les pistolets de Marine du début du XVIIIème siècle ont toujours fasciné les collectionneurs. L’un des principaux fournisseurs connus pour le port de Toulon est Antoine Blachon associé à son gendre Pierre-François Dumarest. Dès la fin du XVIIème siècle, la ville de Tulle fournit les armes à la marine du Ponant via les Ports de Rochefort et Brest tandis que Saint-Étienne livre la Marine du Levant à Marseille (Galères) et Toulon, mais il y avait tout de même quelques fois des exceptions. Les entrepreneurs stéphanois Duchan, Rozet et Frotton signent le 14 juillet 1692 avec l’intendant de marine Arnoul un contrat pour la livraison d’armes à Toulon. Les trois armuriers créent le 21 janvier 1693 la Manufacture d’Armes de Marine de Saint-Étienne. Jusqu’en 1712 environ, la Manufacture en question traite avec l’arsenal des galères à Marseille et le port de Toulon. A la fin du règne de Louis XIV, la concurrence se fait dure et rentre en scène Antoine Blachon qui, associé à un autre armurier stéphanois, Deschamps raflent les marchés. Un troisième armurier Tézénas obtient une commande de 6000 fusils ce qui crée la disparition de la Manufacture.

Une double dynastie

Le 19 octobre 1706 naît à Saint Etienne Pierre François Dumares (ou Dumarest, les deux orthographes sont admises). Il est le fils de Joseph et Marie Dumares, arquebusier. Le 23 janvier 1731 Pierre François épouse Antoinette Blachon, fille de l’armurier Antoine Blachon, fournisseur de la Marine du Levant. Les Blachon forment une longue dynastie d’armuriers de même que les Dumarest. On se perd entre les neveux et les cousins des deux familles. Antoine Blachon, après le mariage de Pierre François Dumarest avec sa fille décide de signer ses œuvres  » BLACHON DVMARES « , le  » T  » du nom Dumarest a été supprime pour aligner les deux noms. Le jeune couple donnera d’ailleurs naissance à un fils, André, le 5 janvier 1737 qui reprit le flambeau à la mort de son père le 1er juillet 1756. Entre temps Blachon et Dumarest passeront quelques cinq contrats (sans doute plus) avec le Port de Toulon et l’arsenal des Galères de Marseille. Ces contrats portent sur des armes à feu et des armes blanches. Les archives citent des contrats passés en 1737, 1740, 1744-45, 1747 et 1756.

Six survivants

A ce jour, on a retrouvé seulement six pistolets Dumares Blachon de par le monde. Le plus ancien exemplaire se trouve au Canada, trois aux USA, un en France et un dernier en Belgique. Trois seulement sont toujours avec leur bois d’origine de la manufacture, les trois autres seront remit en bois probablement vers le milieu du 18eme siècle, un travail d’entretien normal pour un armurier d’arsenal qui doit entretenir les armes en état de servir. Le tout se faisait dans la règle de l’art, avec le plus souvent les pièces d’origine de l’arme elle-même, qui quelques fois était légèrement modifier pour s’ajuster la mode de l’époque. C’est armes équipaient indistinctement matelots et officiers, et c’est à l’abordage qu’elles donnaient toute leurs mesures. Les collectionneurs trouveront sur le tableau suivant les caractéristiques de ces six pistolets, témoins de l’histoire de notre Marine. Les pistolets sont classés par type de contrats.

Fiche Technique

CollectionLongueurMarquages platineLongueur du canonBrideTypeVisse à la sous gardeCalibreMonturePlatineAutre
Exemplaires avec crosse d’origine;
S Gilbert no: 1 (CDN)500mmBLACHON DUMARES322mm – 12 3/4 PoucesNONA-B118mm (16) or.72Fer133mm676
V Jarlier (FR)515mmDUMARES BLACHON322mm – 12 3/4 PoucesNONB-C218mm (16) or .72Fer142mm763 TOVLON CP J C 16
R Brooker no:1 (US)465mmDUMARES BLACHON280mm – 11 PoucesOUIC-D218mm (16) or .72Fer132mm114 G.D.F
Exemplaires remit en bois au milieux du 18éme siècle avec des pièces disponibles;
R Brooker no: 2 (US)500 mmDUMARES BLACHON322mm – 12 3/4 PoucesNON118mm (16) or .72Fer132mm976
TOVLON (canon)
Collection Belge? 500mmDUMARES BLACHON322mm – 12 3/4 PoucesNON118mm (16) or .72Fer? 132mmG.D.F (canon)
R Brooker no: 3 (US)* 370mmDUMARES BLACHON*190mm – 7 1/2 PoucesNON118mm (16) or .72Fer132mmJ (canon) et 2 (bois)
Raccourcit en 1766 selon l’initiative du maître armurier Givel à Toulon à 13 Pouces.
G.D.F = « Galère de France« 
Type par contratsPierre-François
DUMAREST
A – 1737BLACHON AntoineExplication pour les datations des contrats :
B – 1740Note 1 : Galère de France, dissoute par Louis XV en 1748
C – 1744-45Note 2 : Renfort de bouche supprimer vers 1750
D – 1747Note 3 : Lettre V devient U vers 1740-45
E – 1756Note 4 : Blachon décède vers 1740

Commentaires sur les pistolets

Les pistolets ont évolués sur le plan technique pendant une période comprise de 1737 à 1756. Nous allons tenter de les analyser en fonction des contrats passés entre la Royale et Antoine Blachon ainsi que son gendre Pierre-François Dumarest, puis les classer par les caractéristiques de ces cinq contrats. La plupart de ses pistolets sont très bien marquée et réceptionnée par la marine, ils sont tous à platine dite « carrée » et de calibre 18mm, la marine se distinguait de la Guerre en ayant adopté le calibre 16. pour ses pistolets à la place du 20. habituel.


Contrat Type « A-B » circa 1737-40
Ce pistolet est de première fabrication et possède toujours son crochet, bien que ce dernier soit facultatif il est fréquent. Garniture de fer, pommeau a longues oreilles. La sous-garde ou pontet est maintenue par une goupille passant a travers un tenon a l’avant et par une seule vis à l’arrière, elle est d’une seule pièce ; toutes les vis a tête ronde. Le canon est monté sur un fut long, par deux tenons et goupilles avec un renfort de bouche a son extrémité appelé  » astragale ou bourlet « , celui-ci est mince donc propice a une usure plus rapide, il servait aux déchargements en extrayant la balle tout simplement en tapant le canon sur un corps dur afin de faire descendre la charge, en second lieu il remédiait à la fragilité de la bouche, due à la faiblesse du métal a cet endroit avec l’usure de l’arme. Sa monture et sa baguette sont d’un noyer noir, le fut se termine derrière le bourlet du canon et son extrémité est recouverte d’un mince collet de fer appeler  » frette  » devant protéger le bois, fragile a ce niveau et éviter de se fendre. Les marquages sur la platine sont « BLACHON DVMARES » A noter la lettre « U » du nom Dumares qui est alors de forme « V » (orthographe correcte en vieux français). La lettre « V » deviendra lettre « U » vers 1740-45. Une paire d’ancres croisées est également poinçonnées.


Contrat Type « B-C » circa 1740-45
Amélioration technique, la sous-garde arrière est maintenant maintenue par deux vis de fixation, elle est également plus épaisse et a des rondeurs plus définies qui lui resteront sur les modèles a venir. Toujours avec son renfort de bouche qui est maintenant plus épais, le canon devient à pans  » dit carré  » ou octogonal, cinq pans courts se perdent vers le milieu du canon. L’armurier cherche à renforcer sans arrêt la solidité de son arme. La signature sur la platine se lit maintenant : « DUMARES BLACHON », probablement à la suite de la mort d’Antoine Blachon, et une paire d’ancres croisées est bien poinçonnée au dessus de la signature. Sur le canon on retrouve le nom « * TOVLON * » poinçonnées avec toujours la lettre « V » de l’ancien français pour le « U ». Notons que les ancres croisées sont gravées sur le canon à l’arsenal de toulon. Le grand port de Méditerranée se trouvait donc en liaison directe avec la Belle Province à l’époque. Ce dernier pistolet a été très bien commenté dans une étude de Jean Boudriot, en 1974.

Contrat Type « C-D » circa 1744-47
Étrangement, ce dernier modèle ne possède pas la paire d’ancres croisées gravées sur le canon ou poinçonnées sur la platine. Le canon est bien par contre marqué sur le dessus  » GALERES.DE.FRANCE  » et possède un renfort de bouche. Coté amélioration technique, sa platine possède une bride au bassinet ; apparaît également un renfort intérieur de fixation pour la vis de monture avant. Nous pouvons penser que c’est le fruit du retour d’expérience des marins affrontant l’anglais à l’abordage, le pistolet au poing !


Contrat Type « D » circa 1756
Le dernier exemplaire étudié ci-dessus du type C-D, (1744-47) était très bien identifié des Galères de France, en sachant que celles-ci ont été dissoutes par Louis XV en 1748, il est donc antérieur à cette date. Malheureusement pour nous, aucun pistolet Dumares Blachon de ce dernier contrat (1756) n’a pu être retrouvé. Par contre, nous possédons un exemplaire de la même période que nous croyons être également de marine portant sur la platine la signature  » FALONIERE FRERES ». Le renfort de bouche a été supprimer vers 1750 ce qui est conforme. L’arme est superbe et représente ce qu’il se fait de mieux pendant la période de la guerre de sept ans.

Conclusion

Cette étude nous permet de constater l’évolution des pistolets de bord, objet-témoin de haut fait d’arme. Des galères aux vaisseaux les marins désiraient des armes solides et fiables. Dumarest Blachon a su répondre à ces demandes profitant ainsi de cinq contrats successifs. Au delà de l’aspect technique, ces pistolets de bords connaissent une histoire tourmentée propre à séduire les collectionneurs. Comment des pistolets de galères se sont retrouvés aux USA ou au Canada? Comment étaient armés les vaisseaux du Roy au port de Toulon ? Ces questions resteront sans réponse si ce n’est dans l’imagination des collectionneurs. Chargés d’histoires, porteur de la marque des Galères signés par un fournisseur de renom, ces pistolets sont inestimables.

par Simon GILBERT