N°23 _ La carabine Spencer – Les pistolets d’officier 1833

La carabine Spencer

De toutes les armes à répétition employées durant la Guerre civile américaine, la carabine Spencer est la plus prestigieuse. Le 6 mars 1860, à I’aube de la guer-re qui va plonger l’Amérique dans un bain de sang, Christopher Miner Spencer dépose Ie brevet n° 27393 pour une carabine à répétition qu’il vient de concevoir. Cette arme trapue est équipée d’un magasin tubulaire loge dans la crosse, d’un levier d’armement qui par son action amène les cartouches du magasin a la chambre, après avoir évacué la douille percutée, et d’un chien massif armé manuellement. L’arme chambre une forte cartouche de calibre 56 à percussion annulaire, la 56/56 Spencer.

Dans la Guerre de Sécession

Sur un plan purement technique, la carabine Spencer est arrivée à maturité avant même le début du conflit, mais il restait à l’inventeur à convaincre les responsables de l’armement, qu’un fusil est autre chose qu’un simple porte-baïonnette et qu’avec le sien, ils tenaient le meilleur de son temps. Chose curieuse, c’est la marine qui s’intéresse la première à cette arme. Soutenu par des amis influents, Spencer décroche rapidement un premier contrat pour la fourniture de 700 fusils a la Navy, après avoir apporte la preuve de la résistance et de la rapidité de tir de ses armes. Des armes qui doivent subir de redoutables épreuves de sélection sur les polygones de tir de I’Union : Les fusils doivent pouvoir tirer 250 coups sans nettoyage, résister à l’eau et au sable… et tirer encore plus de 20 coups à la minute dans ces conditions extrêmes. Le challenge semble impossible à l’époque, et pourtant, en janvier 1861, les armes de Spencer passent l’épreuve haut la main. 

Pourtant malgré les qualités indéniables des armes du jeune inventeur, le chef d’état-major des forces de l’Union, J. W. Ripley, s’élève, avec force, contre l’achat de la carabine Spencer par I’Armée, lui reprochant un appétit féroce en munitions… II faut à Spencer l’appui personnel de Lincoln pour que son arme soit enfin adoptée a titre réglementaire par les armées du Nord. La première commande porte sur l’achat de 20 000 Spencer Rifles, fabriqués par la Spencer Repeating Rifle C° de Boston. Ces armes sont livrées en 1862 entraînant un engouement généralisé pour les armes à répétitions, à tir rapide. Le succès de Spencer est total a tel point que de nombreux soldats s’en équipent a titre prive, faute de pouvoir l’obtenir de façon réglementaire. 

De 1862 a 1865, 106 667 Spencer, carabines et fusils confondus, sont livrés aux Unionistes, contribuant largement a bousculer les Sudistes mal armés, fatigués, et exsangues. Faute de pouvoir assurer a elle seule l’ensemble des commandes, la firme Spencer sous-traite une partie de ses contrats avec la Burnside Rifle C ° de Providence, Rhode Island.

Dans les derniers mois du conflit qui oppose le Nord au Sud, la carabine Spencer est à son apogée. C’est une arme robuste, fiable et équipée depuis peu de I’arrêt Stabler qui permet de neutraliser le magasin et de tirer au coup par coup, tout en gardant en réserve les munitions contenues dans la crosse. A l’inverse, les boites Blakeslee, brevetées par Ie colonel Erastus Blakeslee en décembre 1864 contiennent six à treize tubes magasins approvisionnés à l’avance, permettant au tireur pris dans un engagement, de piocher directement dans cette réserve garnie de chargeurs au lieu de réapprovisionner celui qu’il vient de tirer, augmentant en cela, de façon considérable, la puissance de feu de son arme. Mais, toute médaille a son revers, et c’est Ie succès de Spencer qui causera sa perte. Dès la fin du conflit, I’US Army reconstituée, rejette en bloc les armes à répétition, négligeant pour près de vingt ans les armes à tir rapide, au nom de la sacro-sainte économie de munitions dont ces armes sont friandes. Par ailleurs, la vente en surplus des stocks de la guerre civile, casse le marché commercial et met un terme, aux activités de Christopher Spencer. Exit Spencer, génial inventeur. Le 28 septembre 1869, la Spencer Repeating Rifle C° est rachetée par la Compagnie Winchester.

Dans le conflit Franco-prussien

Un an plus tard, ces armes, oubliées dans les dépôts de l’artillerie depuis la fin de la guerre de Sécession, vont reprendre du service. Maintenant c’est en France que I ‘on se bat et le gouvernement de la Défense Nationale, mis en place après la perte de Sedan et la chute de l’Empire, doit faire face à un manque cruel d’armes porta-tives pour équiper les armées levées par Gambetta en province. Apres avoir commandé des armes en Angleterre, en Belgique et en Italie, c’est vers le Nouveau Monde qu’il se tourne, achetant à plein vaisseaux armes et munitions, surplus d’une guerre vieille de quelques années à peine. Parmi les armes modernes commandées en Amérique et embarquées a New- York par les navires français (le Lafayette, le Ville-de-Paris, le Saint-Laurent, le Peireire, l’Ontario et l’Avon) les Spencer occupent, là encore, une place de choix. Livrées à plus de 44 000 exemplaires, elles seront souvent mal employées ou stockées en arsenal faute de munitions adaptées.

par Jean-Pierre BASTIE


Les pistolets d’officier 1833

Le pistolet d’officier modèle 1833 était vendu par paire et porté dans la cavalerie dans des fontes réglementaires. Nous vous présentons aujourd’hui une paire, encore conservée dans ses fontes réglementaires. L’ensemble est des plus intéressant. A l’époque l’officier croyait plus au pouvoir de son sabre et les pistolets restent des armes d’appoint. Il s’en sert uniquement pour se dégager d’une situation périlleuse. Le plus souvent les pistolets restaient dans leur fonte, accrochés au cheval. Ceci explique l’état exceptionnel de conservation.

Le premier pistolet réglementaire français à percussion

Le modèle 1833 est le premier pistolet réglementaire conçu et réalisé avec une platine à percussion. Dès 1820 les armuriers civils développent des modèles à percussion. Le succès est immédiat tant sur les armes de défense que pour les armes de chasse. L’armée qui vient d’adopter le système 1822 trouve la dépense hors de portée. Un certain conservatisme prévaut à l’Etat-Major. Pierres et poudre sont disponibles, les nouvelles capsules sont trouvées peu fiable, difficile à manipuler par les soldats et leur stockage n’est pas prévu. Cependant des esprits éclairés font avancer les choses. Il faudra attendre 1840 pour voir l’armée française se doter d’un système à percussion pour l’Infanterie. Parmi les partisans du système à percussion se trouve Charles Louis César Duport, Marquis de Pontcharra. Il occupe de 1822 à 1832 les fonctions de directeur de la Manufacture Royale d’Armes de Maubeuge. Il repense carrément la platine des pistolets autour du système à percussion. Il monte le grand ressort en arrière du chien et non plus en avant. Cette platine plus fiable est dite « arrière » ou à la « Pontcharra ». Elle va se généraliser sur tous les pistolets. L’Etat-Major se décide à adopter un premier pistolet à percussion, mais uniquement pour les officiers. Il est doté d’une platine à la Pontcharra. Il remplace officiellement le pistolet d’officier modèle 1822 qui sera transformé à percussion en 1840. Le Marquis de Pontcharra poursuivra une brillante carrière, directeur de la Manufacture Royale d’Armes de Châtellerault de 1837 à 1839, puis inspecteur des Manufactures Royales jusqu’en 1847. Il meurt en 1858.

Le premier modèle 1833

Ce pistolet élégant séduit par ses lignes épurées et la qualité de sa finition. La monture en noyer présente un fût court qui dégage le canon sur les deux tiers. La poignée finement quadrillée s’évase vers le bas. La calotte en fer, fixée par deux vis, possède un anneau servant de bouchon pour un évidemment de la poignée, qui contient le doseur de poudre et les amorces. Le pontet ovale, en fer, se prolonge sur l’arrière en deux parties. La première forme la sous-garde et l’autre repose doigt. La capuche en fer prend le devant du fût et sert de guide pour la baguette. Cette dernière en fer se termine par une tête refouloir en laiton. Le canon est en acier à rubans et comporte une bride de fixation pour le passage de la clavette. Le canon est légèrement tromblonné à la bouche. Le cran de mire est situé sur la queue de culasse et un grain d’orge fait office de guidon. La cheminée est du type chasse montée sur une embase hémisphérique. Le canon offre 48 rayures cheveux, il est bleui. La platine à la Pontcharra, large et ronde, donne sa silhouette au pistolet. Les garnitures sont jaspées. En fait l’arme est du type civil, elle prend toutes les améliorations des pistolets de duel du moment. Sa finition accentue cette impression.

Une paire de Châtellerault

Notre paire fut fabriquée à Châtellerault, elle porte sur la platine le marquage suivant : Manufre Royale De Châtellerault Ainsi que les poinçons du contrôleur et de l’inspecteur. Les deux pistolets sont de la même cuvée et possèdent les mêmes caractéristiques : Calibre : 17 mm Longueur : 363 mm Canon : 196 mm Poids : 910 g

Un second modèle

Vers 1840 un second modèle fera son apparition. Il se caractérise par une platine de forme allongée, une cheminée de type « guerre » et un canon damas. Les premiers modèles sont plus fréquents que les seconds. Les manufactures accaparées par les transformations à percussion des armes françaises fabriquent peu de second modèle. Par contre il existe de nombreuses fabrications civiles. Les fabrications réglementaires resteront rares et destinées aux officiers supérieurs. Nombre de jeunes officiers feront exécuter des copies plus ou moins riche des modèles 1833. De nombreux armuriers civils proposeront aussi des paires de voyage en cassette. Les 1833 civils cotent moins que les réglementaires.

Des fontes réglementaires

Les deux fontes et leur harnachement sont en cuir travaillé de très bonne qualité. Il faut dire qu’un maître bourrelier était attaché à chaque régiment. Les fontes se terminent par un renfort en laiton. Des passants permettent de les attacher à une solide pièce de cuir qui passe sur l’encolure de l’animal. Les lanières passent sous le coup du cheval et entre ses pattes pour se fixer aux fontes et à la selle. Les lanières se rassemblent sur une pièce en cuir en forme de cœur qui porte le numéro du régiment repercé dans du laiton, à savoir 34. L’identification est difficile car les officiers d’infanterie comme d’artillerie étaient montés de la sorte. Sans compter que la cavalerie comprenait des lanciers, des dragons, des hussards et des cuirassiers. L’ensemble de cette buffleterie est de qualité, mais il faudrait la passer autour de l’encolure d’un cheval (même un mannequin) pour en apprécier la valeur.

Le modèle 1833 marque une étape importante dans les armes réglementaires française. C’est le premier pistolet conçu explicitement pour le système à percussion. Les modèles d’officiers 1816, 1822 et 1833 sont rares. Le successeur du modèle 1833 fut le revolver modèle 1874, exception faite du pistolet d’Etat Major modèle 1855 à deux canons. Il se rapproche plus d’un pistolet civil que d’une arme réglementaire.

par Daniel CASANOVA